Lundi, à la rédaction de Pink Paillettes, on discutait fermement : la lecture d'un article présentant une jeune fille musulmane avouant porter le voile par intermittence ("Ce'st quoi, M'dame par intermittence ?") a échauffé les esprits, à croire que le sujet passionne encore... Lisez plutôt :
- "Autant ne pas le porter du tout", a été le cri du coeur des Pink Paillettes : Rania, Hassniya, Sabrina et Ihsane. Le lundi, ni Zineb, ni Raby ne sont à l'atelier. Lucie était absente.
Les réactions se sont enchaînées : pourquoi porter le voile ? Finalement, il se trouve que toutes les filles de la rédaction sont intéressées par le sujet : la religon musulmane fait partie de leur culture à toutes, pratiquantes ou non. On porte le voile pour respecter le Coran, soit, mais ne peut-on respecter sa religion sans porter ce voile ?
Ihsane, plus haut que ses camarades, affirme sa liberté de ne pas porter le voile : sa mère ne le portant pas, elle ne voit pas pourquoi elle serait amenée elle, à le porter, surtout en France ! A Alger, soit, mais pas ici ! Sabrina évoque ses déboires avec sa tante qui, voilée, voudrait régir la tenue vestimentaire de sa nièce, qu'elle juge parfois trop court-vêtue... "Elle n'est pas ma mère, elle n'a rien à dire sur ma façon de m'habiller".
C'est qu'en effet, porter le voile va de pair avec un comportement vestimentaire et social : finies les jupettes, les bijoux cliquants, la ceinture dernier cri, le maquillage gloss sur les lèvres, les bottes-cuissardes. Le voile impose le respect : "le respect passe partout", mauvais jeu de mots, sans doute, mais révélateur : la fille voilée ne se voit que parce qu'elle est, voilée, identifiable, à Châtellerault. D'elle, on ne voit plus la chevelure, que les rédactrices de Pink Paillettes portent longue, méchée, lissée parfois, coiffée, choyée comme un trésor, on ne voit plus le corps, les formes, les courbes du corps sont effacées par d'amples vêtements : "On ne doit voir que les mains et le visage".
Finies les sorties en boîte, la cigarette, les sorties avec les garçons : porter le voile, c'est respecter la réputation que la famille des filles souhaite conserver. "Il y en a qui se mettent à porter le voile parce qu'elles ont une réputation, et qu'elles veulent l'arrêter. C'est hypocrite. " : "C'est une façon comme une autre d'avoir la paix". "On n'a pas besoin de porter le voile pour vivre notre religion !". "Ma mère, en arrivant en france, n'a jamais porté le voile, elle a mis des jupes courtes, je ne vois pas pourquoi je porterais le voile ! Sauf si ma mère me demande de le porter."
Au fil de la discussion, on aborde le sujet de la façon moderne de porter le voile, sans renoncer à sa coquetterie : une ancienne élève du collège s'est convertie à l'Islam et porte le voile, mais elle le porte coloré, en harmonie avec ses vêtements, il peut être rouge et blanc, par exemple. Cette façon de porter le voile ne soulève pas de critiques, c'est même plutôt bien accueilli, même si l'idée semble étrange, puisque venue d'une jeune fille non musulmane convertie récemment.
La conversation en revient à la question de l'honneur puis bascule : "C'est abuser : il y a de l'hypocrisie partout ! Mes tantes, elles fument, et quand elles ont vu ma soeur fumer pour la première fois, elles l'ont critiqué, disant qu'elle salissait l'honneur de la famille !" La notion d'honneur et de respect fait parler. Mais la sonnerie interrompt ce passionnant débat.
Mardi, Zineb et Raby nous rejoignent. La discussion reprend.
Pour Raby, mettre le voile n'est pas envisageable, Zineb le portera, mais plus tard : toutes l'admettent, on porte le voile quand on est grande : "Ca veut dire qu'on grandit", assure Zineb. Ce sera son choix, pas celui de sa famille, même si sa famille sera honorée de son choix. Décidément, elles en savent, des choses sur la religion et le voile, les rédactrices de Pink Paillettes, et les mots arabes pleuvent, que ne comprend pas l'animatrice de l'atelier, à qui il faut traduire : ce qui est interdit, ce qui est autorisé par le Coran, le voile, le foulard, la Burka (ça, je connaissais), le voile qui couvre le visage, celui qui laisse la chevelure apparaître, la voile qui couvre le corps en entier... On porte le voile à la Mosquée, pour prier, ou bien on ne respecte pas tout à fait le Coran, par exemple.
Ihsane montre de quelle façon elle peut porter le voile, en Algérie, sans qu'on la reconnaisse : "Ma tante, elle sait reconnaître ses copines qui portent le voile, alors qu'il n'y a que leurs yeux qui dépassent ! Je me demande comment elle fait ça !". "Il paraît qu'on n'a pas toutes les mêmes yeux..." Comme quoi, même cachées sous ce voile, les filles peuvent conserver leur personnalité... Des photos sont prises, à la demande de Raby, Sabrina et Ihsane, qui s'essaient au voile (c'est interdit au collège, mais pour l'article, on joue à cache-cache-voilée) : les reconnaîtrez-vous derrière le voile ? Aux yeux ? Essayez donc. Raby rit : "Pour moi, c'est facile !" Raby a la peau noire, facile de la reconnaître, en effet... Peu de femmes de peau noire (les "renois") portent le voile, à Châtellerault : seulement deux, connues par les rédactrices de Pink Paillettes.
Au C.D.I., où a lieu la discussion, la classe de 6ème4 est là, elle travaille avec monsieur Mastorgio sur... un concours de journaux scolaires !!! Les 6èmes4 préparent un journal du patrimoine : trois articles, l'un sur l'ancien théâtre, un sur le Pont Henri IV, un sur la Manufacture d'armes... Espérons qu'ils gagneront ! Goundoba, jeune élève de 6ème4, noire et musulmane, nous rejoint pour une interview : nous savons qu'elle porte le voile, "par intermittence", et souhaitons lui poser quelques questions : elle accepte de bonne grâce, nous la remercions d'ailleurs de sa sincérité. Voici un résumé des propos de Goundoba :
"Je porte le voile depuis deux ans, depuis que j'ai dix ans. C'est jeune, pour commencer à le porter. Ni ma mère, ni mes grandes soeurs ne le portent, mais ma mère en a acheté un sur le marché, en Afrique, et je l'ai porté de temps en temps, puis me suis habituée. Et j'ai trouvé ça joli. Je voulais porter le voile pour respecter le Coran : une fille ne doit montrer que son visage et ses mains. Une femme appartient à son mari, les autres hommes ne doivent pas la regarder. Il me sera difficile de trouver un travail quand je porterai le voile, plus tard.
Les gens me regardent, dans la rue, les musulmans me saluent : "Salamaleikoum". Une fois, une voiture d'arabes s'est arrêtée pour me saluer ainsi, ça m'a choquée, ils n'avaient pas à faire ça simplement parce que je portais le voile !
Ce qui me fait bizare, c'est de porter le voile, mais de l'ôter pour aller au collège, car c'est interdit : je le remets à la maison, je ne le porte pas sur le chemin du collège : les gens me voient tantôt avec le voile, tantôt sans le voile, ça me gêne de plus en plus. Les gens me regardent autrement quand j'ai le voile. Je me sens plus respectée.
Quand je serai grande, j'appartiendrai à mon mari."
-"Moi, même mariée, je n'appartiendrai à personne !!! Je n'appartiens à personne et n'appartiendrai à personne !" s'écrie Ihsane, relayée par Hassniya et Sabrina.
Une fois encore, la sonnerie retentit et interrompt une conversation des plus riches... A suivre, je l'espère.